CASS-TETE yaoi
Une fois sorti de la propriété, j’appelle Johanna.
« Jo, t’es habillée comment ? »
Je sens son hésitation.
« J’ai besoin de toi toute la journée. Si tu as des talons hauts, tu les vires, idem pour le tailleur. Appelle Kevin, dis-lui de venir te remplacer. Quant à Steven, si tu devais déjeuner avec lui, tu oublies, je te remplacerais. On sera là dans une trentaine de minutes. »
Après avoir prévenu Jo, je reviens sur Amélia.
« Evan m’a dit qu’il t’avait puni…je peux savoir ce que tu as fait ou dis pour mériter ça ? »
« … »
« Alors ? »
« J’ai pas été polie avec Didou et Evan »
« Pas polie… »
« J’ai dit que c’étaient des sales pédés »
J’inspire un grand coup et enchaine :
« Je comprends qu’il t’ait puni. Ce n’est pas gentil de dire ce genre de chose. Je t’aurai puni moi aussi »
« Pardon »
« Ce n’est pas à moi que tu dois dire ‘pardon’ mais à Evan. Quand tu le verras ce soir, je tiens à ce que tu t’excuses auprès de lui. »
« Promis »
« Et je ne veux plus que tu dises ce genre de chose. Promis ? »
« Promis »
Je la vois hésiter puis elle enchaine :
« Evan, il n’est pas méchant tu sais »
Je lui lance un regard interrogateur via mon rétroviseur.
« Quand Didou a voulu me frapper parce que je lui avais dit ça, Evan lui a crié de quitter la maison et de ne plus revenir. D’ailleurs, il le lui avait déjà dit mais Didou il écoute rien »
Je souris à cette dernière remarque.
« Tu sais, j’ai menti…Didou c’est pas le chéri de tonton. Ça l’a jamais été »
Je comprends qu’il pète les plombs Evan avec cette peste.
« J’ai dit ça pour l’embêter. Didou il organise des fêtes, c’est son métier. C’est pour ça qu’il était là le jour de mon anniversaire »
« Dis-moi chérie, tu en as raconté d’autres, des mensonges ?... »
« Non, c’est tout »
« Ce n’est pas mal pour une fillette de 6 ans »
On est arrivé devant la galerie.
« C’est là que tu habites ? »
« Non, c’est là que je travaille »
Une fois la voiture garée et les affaires d’Amélia récupérées, j’entre.
***
Après la surprise, la joie se lit sur le visage de Johanna. Elle se retient de se précipiter sur Amélia. Je fais les présentations. Elles ont l’air ravies. Je propose d’aller au parc d’attraction. Sourires.
Elles s’entendent à merveille. Pendant qu’elles papotent, j’appelle Sven pour lui dire qu’on déjeune ensemble ce midi.
Je les suis pendant qu’elles essayent les manèges et attractions diverses. A l’heure du déjeuner, je les laisse tout en glissant discrètement ma carte bancaire à Jo. Crédit illimité. J’aime avoir la paix.
Amélia tente bien de s’accrocher et de m’entrainer avec elle mais je lui dis que j’aurai la surprise de découvrir les jolies robes-roses- qu’elle aura achetées. Comme toute les filles, l’idée d’essayer, de toucher, d’acheter des fringues l’emporte.
Je les quitte et rejoins Sven.
« Tu lui as trouvé quoi comme occupation à Jo ? »
« Nounou »
Son visage se ferme. Le sujet est brûlant. Johanna veut un enfant. Cela fait des années qu’elle tente de faire plier Steven qui reste inflexible.
« Quoi ? »
« Elle s’occupe d’Amélia Jansen. La cible. J’aimerai que tu fasses des recherches sur un certain Didou. Organisateur d’évènements. Une sous-merde en puissance, capable du pire à mon avis »
« Je m’occupe de ça »
« Rien de nouveau sur Jansen ? »
« Voilà tout ce que j’ai trouvé sur lui et sa famille. Bonne lecture »
On commande enfin. Après le déjeuner, Steven part faire ses recherches tandis que je rentre chez moi, lire tranquillement.
J’apprends que les parents d’Evan sont toujours vivants. Faudra savoir pourquoi ils n’ont pas eus la garde d’Amélia…son père se fait représenter par un avocat lors des conseils d’administrations. Cela depuis la mort de son fils ainé. D’après ce dossier, Evan est un bourreau de travail. Il gère d’une main de maitre sa part et celle de sa nièce. Les actions et sociétés d’Amélia sont supervisées par une pléthore d’avocats, conseillers et tutti quanti…engagé par Evan. Il est aussi diplômé d’écoles prestigieuses. Il a commencé au bas de l’échelle dans l’entreprise paternelle, tout comme son frère. Rien dans son parcours qui fasse de lui un criminel.
Après avoir rangé le dossier dans mon coffre fort, je l’appelle.
« Monsieur Jansen. Brian Radcliffe »
« … »
«Tu viendras vers quelle heure chercher ta nièce ? »
« …18h30 »
« Parfait »
« Ton adresse, tu comptes me la donner ou je dois la deviner… »
« Viens à la galerie »
« Tu avais dit-chez toi- »
« Mais la galerie est à moi »
Je sens qu’il s’énerve. Je souris. J’attends encore un moment. Je veux être sûre qu’il soit bien furax. Une fois qu’il a bien mijoté, je reprends la parole.
« Envois la nounou chercher Amélia à la galerie à 18h30. Rejoins-moi à 20h00 chez moi…tu auras diné ? »
« Non »
« Faut que je te fasse cuire des pâtes ? »
Je l’entends sourire.
« 52, South Street Seaport »
Il raccroche.
***
Retour à la galerie. Johanna et Amélia sont déjà là. Une multitude de paquets jonchent le sol. Je récupère la petite fée. Elle me montre ses nouveaux vêtements. Aucune robe rose. Je suis étonné. Lorsque je lui pose la question, elle rétorque qu’elle en a assez comme ça. Après ces explications, elle vient s’installer sur mes genoux, munie de son livre. On s’installe confortablement. Alors que je vais commencer la lecture, elle appelle Johanna. Et nous voilà, tous les trois, famille imaginaire, prêt à écouter une histoire.
C’est ainsi que la nounou nous trouve. Amélia fait la tête, elle ne veut pas rentrer. Johanna fait la tête, elle ne veut pas la laisser partir et moi aussi je fais la tête car je savais très bien que la fin de la journée serait pénible pour toutes les deux. On se sépare sans larmes. Johanna rentre chez elle. Kevin ferme la galerie tandis que je rentre moi aussi. J’ai des pâtes à faire cuire, mais avant de pouvoir les préparer, il faut que j’en achète.
***
C’est un tablier autour de la taille que je vais ouvrir à Evan. Il a l’air épuisé. Sa cravate est dénouée. La vue de mon tablier le surprend puis un léger sourire vient ourler ses lèvres.
Il me suit jusqu’au salon. Il a l’air fasciné par le décor ou l’absence de décor. Il est vrai que chez lui ce ne sont que meubles anciens, tableaux, tentures, objets d’art posés ici et là. Le dénuement de mon appartement à de quoi déstabiliser. Le noir et le blanc omniprésents dans toutes les pièces peuvent déranger.
Alors que je l’invite à s’assoir dans l’énorme canapé en cuir noir, il me demande :
« Pourquoi ces deux couleurs ? »
« Parce que si tu mélanges du noir et du blanc, tu obtiens...du gris »
A l’évocation de cette couleur, je le vois saisir une mèche de mes cheveux et sourire.
« J’ai du whisky…champagne…vodka… »
« Whisky nature et sans glace »
Tandis que je lui sers son verre d’alcool, je le vois se détendre. Je le laisse boire une gorgée avant de le questionner.
« Pourrais-je savoir ce qu’a fait Amélia pour que tu la punisses ? »
Son regard noir, dans tout les sens du terme me fusille sur place.
« Alors ? »
Après un silence il enchaine :
« Quoi je dise tu es acquis à sa cause…pourquoi me questionner ? Je suis le méchant qui traumatise cette pauvre petite orpheline »
« J’attends »
Je sais que mon attitude l’énerve mais je m’obstine.
Il soupire.
« Elle nous a insulté, je l’ai puni »
« C’est vaste- insulter-»
« ‘Sale pédé’ ça te va comme insulte ? C’est assez précis ? »
« Elle n’a pas tort »
« P’tain Brian ! »
Il fulmine. S’il n’était pas aussi bien élevé, il m’aurait balancé son verre à la figure.
« Et toi, t’es quoi ? »
« Un ange, c’est comme cela qu’elle m’appelle »
Il pose son verre sur la table basse et d’une voix étrangement calme dit :
«Tu ne vois en moi qu’un sale pédé toi aussi ? Un mec dépravé qui joue à de drôles de petits jeux ? Un parvenu, un fêtard qui a la chance d’avoir un père richissime et une société florissante ? C’est ça ? Il est là grâce à papa. C’est ce que tu dois te dire. Quant à Amélia, je suis son tuteur. C’est mon frère qui a nommé un sale pédé pour donner un peu d’éducation à son unique enfant. Aussi lorsqu’elle nous a insultés, je n’ai pas supporté. J’ai entendu cette phrase trop de fois dans la bouche de mon père, je me suis juré que plus personne ne me traiterait de la sorte, même pas ma nièce. Encore moins ma nièce. Mon frère ne voulait pas qu’elle grandisse dans un milieu homophobe et étroit d’esprit. Comme punition je l’avais consigné dans sa chambre… Je ne suis pas le monstre que tu sembles croire. Je l’aime. Elle est mon unique famille mais j’ai l’impression d’échouer lamentablement dans le rôle de parent de substitution. Ce n’était pas une bonne idée de venir ici. Il est temps que je parte »
Je m’avance vers lui, il ne bouge pas. Alors qu’il va remettre une mèche de cheveux derrière son oreille, je le devance et replace la mèche rebelle puis je m’approche un peu plus et murmure :
« Tu as bien fait de la punir, elle le méritait »
Mes paroles le surprennent.
« Tu es sûr que tu ne veux pas goûter ma cuisine ? »
Je suis très près de lui.
« Alors ? »
D’un geste las, il accepte.
Le repas se déroule dans le silence. Son regard tourné vers un passé que lui seul connait. Il ouvre tout de même la bouche, une fois le repas fini :
« T’es un sale con mais tu cuisines bien »
Je lui souris.
« Il faut que je rentre…le sale pédé à une réunion demain matin, il doit la préparer…son ‘nègre’ est en vacances, il doit faire son boulot tout seul »
« J’aimerai que tu restes »
Un sourire désabusé barre son visage.
« C’est ça ton plan drague pour mettre les mecs dans ton lit ? »
« Alors ? »
« Non, je rentre dormir avec ma chose. Il doit m’attendre, à quatre pattes sur mon lit »
S’il reste, je sais très bien qu’il ne se laissera pas faire…je ne suis pas sûr de vouloir me laisser faire…j’hésite entre insister ou le laisser partir…