Je me retrouve dans le hall immense, happé par un flot d’invités, abasourdi par la musique, j’erre dans les salons lorsque mon regard est attiré par une personne. Cette silhouette, toujours la même…cette audace vestimentaire, toujours la même aussi. Elle est affublée d’un fourreau rose bonbon. C’est comme si rien n’avait changé. Il ne manque plus que lui, venant à ma rencontre et m’entraînant dans le parc, sur le banc qui est toujours à la même place. Décor immuable de ma vie misérable.
J’aperçois Fio, coquelicot ondulant dans un champ d’ordures.
En me dirigeant vers le jardin, je croise la rombière. Elle arbore un énorme sourire. Je n’ai pas envie de me forcer, et décide de la dépasser en l’ignorant mais Candice pense autrement. Elle me saisit par le bras et attire son attention :
« Chérieee…comment vas-tu ? Je ne te présente pas Tom… tu le connais… »
Tu m’étonnes qu’elle me connait, j’suis parti avec son gigolo…
« Oui, bien sûr. Comment allez-vous ? La soirée vous plait ? » Sa voix m’horripile et son sourire semble me narguer.
J’hoche la tête tout en me libérant de Candice. Je vais fumer dans le jardin.
La musique, même à cette distance, me martèle les tympans. Je ne réagis pas tout de suite, je suis trop absent pour m’en rendre compte, mais au bout d’un certain temps, il me semble que la mélodie passe en boucle…C’était le fond sonore de ma première exposition…je n’étais pas franchement d’accord pour ce genre là, mais Fio et Bill avaient tellement insistés que j’avais fini par céder.
J’intercepte Fiona mais je ne suis pas le seul. La rombière aussi est là. Elle me toise. Je sens que si elle prononce le nom de Bill, je lui flanque mon poing dans la figure, histoire qu’elle sache à quoi sert vraiment la chirurgie esthétique.
« J’adore cette musique !! »
« Original pour un anniversaire »
Fio est la championne toutes catégories lorsqu’il faut parler pour ne rien dire.
« Approchez-vous, le gâteau ne va pas tarder » et le bonbon géant se fraye un passage dans la foule compacte.
Me tournant vers Fio :
« Elle me nargue ou ce n’est qu’une impression ? Depuis le début de la soirée, j’ai comme un drôle de feeling…j’sais pas trop l’expliquer mais elle a une attitude victorieuse que je ne supporte pas…»
Fiona me regarde en me signifiant qu’elle ne comprend rien à ce que je lui raconte et décide de me planter là.
Candice parle et rit de son côté. Je ne suis pas certain que ce soit ici qu’elle trouvera des informations concernant son frère ou son père, je ne sais plus trop…ces cercles privées sont si restreints…tout le monde se connait ou connait les parents ou un membre de la famille… pourquoi m’ont-elles traîné là ? D’où connait-elle la rombière ??
***
Toujours ce regard porcin collé sur moi. Alors qu’elle me dégoûte au plus haut point, je lui souris. Il est temps que je découvre ce qu’elle mijote…
Je suis au premier rang. Elle débite un discours que je n’écoute pas mais je n’oublie pas de sourire. Alors qu’elle se démène avec sa pelle à tarte, je viens à son secours. Au premier abord, je la sens réticente. Je pose alors délicatement ma main sur sa grosse main boudinée et je lui souris tendrement.
« Je suis impardonnable…je ne connais même pas votre prénom… »
Et voilà, le tour est joué. Elle se met à minauder :
« Dita »
« C’est charmant »
Grand sourire.
« Si vous permettez…joyeux anniversaire ! » et je lui colle un baiser sur les lèvres.
Je ne sais pas comment je fais pour ne pas vomir, ni m’essuyer la bouche. Je continue de l’aider. Parfait gentleman qui quelques temps auparavant gisait sur un trottoir. Son personnel a pris le relais…heureusement…
Elle m’attrape par le bras et murmure :
« Vous êtes vraiment un ange » et à mon grand soulagement elle part à l’autre bout de la pièce.
« Tu joues à quoi ? » Fio est furax.
« Je ne joue pas…j’enquête »
Je suis discrètement la rombière du coin de l’œil. Son nouvel amant, un grand black, ressort particulièrement bien sur le rose de sa tenue...
***
.
Sur le chemin du retour, nous sommes seuls avec Fio.
« Pourquoi t’as fait ça ? »
« Pourquoi j’ai quoi ? »
« L’embrasser »
« Parce que t’appelles ça embrasser, toi ? »
« Oui … tu cherchais quoi en faisant ça ? Te mettre à sa place ? Voir ce qu’il pouvait bien éprouver ? »
« Tu me fais une scène ? »
« Non…je sais que tu as du chagrin…c’est dur tout ce qu’il t’est arrivé, je veux ju… »
« Non, tu ne sais rien de ce que j’endure depuis des mois. »
« Je ne sais pas…hein….t’es tu un jour demandé de quoi avait été faite ma vie avant que tu en fasses partie ? T’es tu un jour demandé qui j’avais été avant de devenir celle que je suis ? Non, jamais ! Pour toi les choses sont telles que tu les vois. Elles ne peuvent pas avoir été autre chose et ne peuvent pas devenir quelque chose d’autre. Ton monde est immobile. Je pensais que Bill t’avait ouvert les yeux, mais je vois que tu n’as pas changé. Tu ne vis pas, tu subis…c’est tellement plus facile de traverser la vie sans se poser de questions. »
Elle se tait enfin. Nous sommes arrivés. Silencieux, on regagne nos chambres.
***
Je suis allongé sur mon lit. Cela fait des heures que je contemple le plafond. Je me lève et machinalement, je me retrouve devant la chambre de Fio. Un rai de lumière filtre sous sa porte. J’entre. Elle est sur son lit. Elle ne s’est ni déshabillée, ni démaquillée. Elle regarde une photo. Je m’allonge à ses côtés.
« C’est qui? »
« C’était mon mari »
Elle a l’air si vulnérable. C’est la première fois qu’elle laisse entrevoir sa faiblesse.
« Il était grand reporter. Toujours sur les conflits. Un passionné. C’est lors d’une mission humanitaire que je l’ai rencontré. Je faisais des photos pour ‘médecins du monde’, lui couvrait un conflit. Un vrai coup de foudre. Six mois plus tard, on était marié. J’ai vécu 8 ans de bonheur et d’angoisse lorsqu’il s’absentait. Jusqu’à ce fameux jour…il a été fait prisonnier avec son équipe. Je peux dire que j’ai compté chaque minutes qui passait…chaque jour qui finissait et celui qui recommençait. Tu sais ce que s’est de vivre sans avoir de nouvelles ? D’avoir l’impression de mourir chaque fois que le téléphone sonne ? puis, l’espoir, lorsqu’ils commencent à relâcher des otages…tu te dis que ça sera bientôt son tour, mais ils ont oublié de te dire que les otages qu’ils relâchent, ne sont pas des français, mais d’autres journalistes…finalement, ils sont rentrés…tous, sans exception…dans des cercueils plombés…j’ai décidé ce jour là, de donner aux gens ce qu’ils aimaient le plus…des scandales, de la déchéance…et d’étaler au grand jour toute la merde du monde »
Je la prends dans mes bras et je la berce, doucement. Je sens ses larmes sur ma peau. Elle me repousse tout en les séchant d’un revers de la main. Une trace noire de mascara, lui barre la joue. Je m’approche pour l’embrasser. Elle hésite.
« J’ai déjà trop souffert… »
« Moi aussi »
Cette fois, elle ne résiste pas. Je redécouvre son corps. Elle est toujours aussi belle. Je souris en regardant son visage tout barbouillé de maquillage.
« Pourquoi tu souris ? »
« Ton visage, le maquillage a coulé »
Elle me sourit à son tour.
« Tu vas avoir une surprise toi aussi »
J’imagine…
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