La sonnerie.
Je souris. C’est la première fois que je souris en entendant ce vacarme. Cet après-midi, je retrouve Steph’. Enfin. Je me rends compte que Jordan a comblé le vide de ma vie. Après une bonne
douche, je descends déjeuner. La tornade blonde est déjà là. Je passe au buffet prendre de quoi manger puis je me dirige vers sa table. Il fait la gueule. Je lui souris malgré tout mais il se
lève et me plante là. Le temps de réagir, il a fuis. Je pose mon plateau et pars à sa poursuite. Je prends conscience de ce qu’il vit à chaque fois que je le repousse. Je le rattrape dans le couloir.
« Ne me
touche pas ! »
« …Jordan… »
« Quoi
Jordan ?! T’es prêt à te laisser baiser? T’en as envie ? Vraiment ? »
« … »
« Même
pas foutu de me donner une réponse ! »
Il me colle
contre le mur. Sa bouche dévore ma bouche.
« J’ai
envie de te baiser. Tant que tu ne seras pas prêt, ne t’approches plus de moi »
Il me lâche et
disparait. Je tourne la tête. Claudia. Silencieuse spectatrice.
« Tu as
une séance de relaxation »
« Tu
crois que j’ai la tête à çà ?! »
« Faudra
bien. Va finir ton déjeuner. Je récupère Jordan »
« C’est
pas une bonne idée »
Elle me sourit
sûre d’elle.
Je vais
déjeuner. Puis je rejoins la salle de relaxation. Je prends un tapis. Je m’allonge. C’est les hurlements de la tornade blonde qui me font me relever.
« P’tin !
Tu me casses les couilles avec ta relaxation !! Tu crois que ton cours va réussir à me calmer ?!! »
Si Claudia est
confiante, moi, je ne le suis pas du tout. J’espère que la prof ne va pas nous mettre ensemble.
Il entre comme
une furie dans la pièce. Il hurle, gesticule puis, pointant un index rageur dans ma direction :
« Lui !!
Je ne veux pas qu’il m’approche !! C’est clair ??!! Elle est où la pouffiasse qui doit me calmer ?! »
« Je suis
là »
« Tu as
entendu ? Lui, loin de moi ! »
Claudia
acquisse de la tête.
Le cours
commence dans une ambiance survoltée. Jordan est infernal. La prof s’arrache les cheveux en tentant de rétablir le calme. Peine perdue. C’est le boxon. Elle finit par le foutre dehors. Après son
départ, le calme revient progressivement. Je me détends.
Je suis libre. C’était la seule activité de la journée. Je file dans ma chambre récupérer mes clopes et je vais m’oublier sur un des pontons. Comme à mon habitude, je
m’allonge. Je fume. Je regarde le ballet des poissons rouges qui jouent au milieu des plantes aquatiques. L’image de Jordan emmêlé dans mon corps me vient à l’esprit. Il me manque. J’aime les
moments que l’on partage tous les deux, allongés sur les pontons à fumer, se disputer ou se taper dessus. Mon doigt passe sur ma lèvre qui est encore légèrement meurtrie. Je souris. En retournant
vers le bâtiment, une idée s’impose à moi, je ne veux plus guérir.
***
Dans le hall,
Mademoiselle Henri. Je lui souris. Elle me fait fantasmer avec ses jupes plissées. Non, je plaisante!
« Monsieur
Mc Coy, comment allez-vous ? »
« Très
bien, merci. Et vous-même ? »
« Si vous
acceptez de déjeuner avec moi mon jeune ami, ça sera parfait »
Je saisis son
bras tout en lui adressant mon plus beau sourire.
« Je ne
peux pas résister à votre cuisine. J’accepte avec plaisir »
Je la regarde
installer notre table de fortune. Elle a préparé une salade composée. De la viande froide et de la mousse au chocolat. C’est un véritable festin.
« Vous
permettez ? »
Je lui montre
mes cigarettes.
« Vous
savez que fumer n’arrange pas vos cordes vocales ? »
« Je
peux ? »
« Oui »
Je vais
m’accouder sur le rebord de la fenêtre. Devant mes yeux, le parc et les arbres. Mademoiselle Henri s’est mise au piano. Elle joue. J’aime bien. La musique qu’elle joue est assortie à ses jupes
plissées. Elles vont bien ensemble.
« Pourquoi
ne vous êtes vous jamais mariée ? »
« J’ai
attendu toute ma vie le prince charmant. Mais un jour je me suis réveillée, j’étais passée du statut de jeune fille à celui de vieille fille. Et vous ? »
« Moi ?
J’savais pas que j’attendais le prince charmant. Le réveil est dur ! Puis, j’me vois mal dans le rôle de la princesse »
Elle se met à
rire.
« C’est
bientôt l’heure de retrouver votre ami »
Un
« déjà » a faillit franchir mes lèvres.
« Je vais
vous laisser alors. Merci encore. Vous êtes une excellente cuisinière. »
Avant de la
quitter, je vais déposer un baiser sur sa joue. Je l’apprécie vraiment Mademoiselle Henri.
J’ai décidé
d’aller attendre Stephen, assis, sur les marches de l’immense perron. J’évite de fumer. J’évite de penser. J’ai envie de voir Jordan s’assoir à mes côtés, passer sa main dans mes cheveux. Je me
rends compte du vide qu’il a crée dans ma vie. Mes pensées sont interrompues. Une grosse voiture noire américaine, conduite par Steph’. Je bondis. En moins d’une seconde, je suis devant sa
portière. On est dans les bras l’un de l’autre. Il m’a manqué. Je ne veux pas rester là.
« Qu’est-ce
qu’il t’est arrivé ? »
Il me montre
ma lèvre.
« Une
porte »
La réponse à
l’air de lui convenir.
« Viens
dans ma chambre. J’ai un tas de trucs à te raconter »
« Moi
aussi. Attends, je dois prendre mon ordi »
« Ton
ordi ? »
« Oui, il
y a un magazine qui veut une interview »
« Quoi ? »
« Le
monde entier se fait du souci pour toi »
« Le
monde entier ? »
J’ai envie de
lui dire que je m’en tape de ce que pense ‘le monde entier’, que je les emmerde, qu’ils me font chier à être toujours derrière moi.
« Si tu
savais la quantité de pilules, sirop, pastilles pour la gorge que l’on reçoit chaque jour, incroyable ! Il y a aussi des foulards et des écharpes ! Tu te rends
compte ? »
Il parle mais
je ne l’écoute plus. Jordan marche dans notre direction. Je ne peux pas détacher mon regard de son regard. Alors qu’il passe très près de moi, j’ai tendu mes doigts pour le toucher. Un geste plus
fort que moi. Je sens la caresse de ses doigts. Effleurage furtif. Il continue son chemin. Stephen continue son discours puis s’arrête :
« Dis-moi,
le mec qui vient de passer, il ne t’a pas touché ? Il s’est pris une porte lui aussi ? »
« Quel
mec ? »
« Laisses
tomber. Prêt pour cette interview ? »
« Comme
d’habitude »
Avant d’ouvrir
la porte, une certaine appréhension s’empare de moi. Je repense aux draps. Tout est parfait. Le lit refait. Propre.
Il ouvre son
ordi.
« Voilà.
Réponds aux questions mon ami»
Toujours le
même genre de questions. Mon manager aurait pu le faire ou Steph’. Je me plie à cet exercice ennuyeux et sans aucun intérêt à mes yeux.
« Tu te
souviens des photos prises à New-York ? Elles illustreront l’interview. »
« Ok…Steph
… »
« Hé,
c’est l’heure ! On a rendez-vous avec le toubib. Confiance ! Je suis certain que ça s’arrange. En avant! »
Stephen me
raconte tout ce qu’il s’est passé, comment ils tentent de combler mon absence auprès des fans mais il avoue, qu’il lui tarde que je revienne. Pas moi. Je souris. Je me tais.
« Messieurs !
Bienvenue ! »
On prend place
dans son bureau. Docteur Miracle, face à nous. Souriant.
« J’ai de
bonnes nouvelles pour vous ! Excellentes mêmes. Bon, je ne vous autorise pas à rechanter demain, mais bientôt. Vos cordes vocales réagissent très bien au programme de rééducation. Je vous
garde encore la semaine prochaine, puis, je vous libère. »
« Déjà ?! »
Steph’ et doc
Miracle me fixe, un voile d’incompréhension dans le regard. Je bafouille une justification bidon :
« J’suis
surpris mais content »
« J’espère
que t’es content ! Danny et Lino sont impatients de te revoir. On veut tous que tu reviennes ! »
« Lenny,
j’ai établi un nouveau programme pour la semaine prochaine. Je compte sur toi pour te donner à deux cents pour cent ! »
Il nous
accompagne vers la sortie. C’est fini.
« Heureux
? »
« Oui »
« Tu es
sûr que tout va bien ? On dirait que tu as changé »
« C’est
de vivre ici qui m’a changé. Une vie normale avec des gens normaux. Cela doit me rendre normal à moi aussi »
On reste un
moment à discuter dans ma chambre. Je lui parle de Mademoiselle Henri, de Kristen, de Claudia. Mais pas de Jordan. Il comprendrait tout de suite et pour le moment, je préfère garder cela secret.
C’est la première fois que je ne partage pas ma vie avec mon meilleur ami. C’est la première fois que je me détache de Stephen.
« Je dois
y aller. Prends soin de toi. Je veux te récupérer à la fin de la semaine »
Je le
raccompagne. On s’embrasse une dernière fois.
« Quoi
qu’il t’arrive, règle ça. » et il me montre ma lèvre.
« Ouais,
je vais régler ça »
Je le regarde partir. Mon interview dans son
ordi.