Devant la porte du Docteur Miracle, Jordan est assis sur le banc. Il attend. Je n’ai aucune envie de lui adresser la parole. Ce mec m’horripile.
« J’suis là pour toi. Si tu veux, j’peux rester avec toi »
Je le regarde incrédule.
« J’ai pas besoin de toi. Casses-toi »
Alors qu’il se lève le docteur ouvre la porte et nous accueille en souriant.
« Je vois que Jordan est venu avec Lenny. C’est bien de se soutenir mutuellement. Entrez jeunes gens »
Manquait plus que ça. J’aimerai être à des millions de kilomètres d’ici. L’angoisse me serre la gorge. Je redoute le verdict. J’ai bien peur que Docteur Miracle perde sa réputation avec moi. Cette sensation de ne plus rien maîtriser me tue lentement. Ça me mine le moral.
« Tu risques d’avoir un peu plus mal avec ta lèvre blessée »
Je veux me lever et partir, dire que tout cela n’a plus d’importance. Que j’accepte mon sort. Je redeviens anonyme. Je me fonds dans la masse mais une main se pose sur mon épaule. L’autre, toujours là quand il faut et surtout quand il ne faut pas. Mais là, je suis content qu’il soit resté même si je préfère crever que de le lui avouer. Lorsque je vois arriver le tube, je me crispe. C’est instinctif. Ce tube qui va descendre dans ma gorge. L’idée me tétanise.
« Tu es prêt ? »
Non, je ne serai jamais prêt mais je fais ‘oui’ de la tête. Je ferme les yeux. Je pense à des choses agréables, mais les images qui me viennent à l’esprit ne font qu’augmenter mon désarroi.
« C’est bientôt fini…voilà…c’est fait. Je vais pouvoir comparer maintenant. »
J’ai mal à la gorge. C’est normal. Docteur Miracle, étudie attentivement les deux enregistrements. Sa mine pensive ne m’inspire pas confiance.
« Tu peux lâcher ma main maintenant »
Je deviens écarlate.
Je n’ose pas demander si mon état s’est amélioré.
« Je dois étudier tout ça calmement. On se revoit demain avec votre ami »
Et il nous met à la porte.
Ma lèvre s’est remise à saigner.
« Viens »
Je le suis jusque dans sa chambre, du moins ce qu’il en reste. On dirait qu’une tornade a dévasté l’endroit. Je souris à cette idée mais la douleur que je ressens m’ôte rapidement le sourire des lèvres. Il revient de la salle de bain avec un gant blanc.
« T’en as pas un rouge ? »
Il le presse sur ma bouche. Ça me fait un mal de chien.
Je repousse sa main. J’ai trop mal.
« Si c’était Kristen, tu ne dirais rien ! »
« Si c’était Kristen et qu’elle me fasse mal, je ferai la même chose »
« T’en es sûr ? »
« Oui ! Putain Jordan, t’es zarbi ! »
Zarbi et têtu. Il revient à la charge.
« Si tu me fais mal, j’me casse »
Il va dans la salle de bain. J’entends l’eau couler. Il revient, et pose délicatement le gant sur ma lèvre. Je suis vraiment mal à l’aise.
« Tiens-le un instant, j’vais préparer des clopes »
« Encore ta daube d’hier soir ? »
« Non, mieux »
« ça m’a décalqué cette merde »
« J’avais un peu forcé la dose »
« J’vais finir camé, alcolo, et sans voix »
« Bienvenu dans mon monde »
Je suis assis au bord du lit. En passant, il me pousse et je me retrouve couché. Il y a un objet qui me rentre dans le dos. Je bouge pour l’enlever mais il est plus rapide que moi. Je sens sa main dans mon dos.
« Voilà. C’était la boucle de ma ceinture. » et il balance l’objet par terre.
Je presse toujours le gant contre ma bouche. Je fixe le plafond. Une odeur de produit illicite se répand dans la chambre.
« Tiens »
« C’est pas une bonne idée. Ça me bouffe la tête ton truc »
« Pas cette fois. »
Je soupire et je tire une taffe.
« Pourquoi tu te maquilles ? »
« Pourquoi tu me touches le cul ? »
« Parce que t’as un joli p’tit grain de beauté sur la fesse »
Je souris. Quel con !
« Et toi ? »
« J’sais pas. J’pourrais te dire ce que je raconte aux journalistes »
« J’suis pas journaliste »
« … »
« Alors ? »
« Joker »
« Y’en a pas. Tu dois répondre »
« J’ai pas envie. Laisses tomber »
Je suis en train de lui fumer toute sa clope. Il ne dit rien. Lorsque je tourne la tête, il me fixe. Je la lui rends.
« Tu sais que j’ai mal aux couilles aujourd’hui. Tu me les a ratatinées hier avec ta jambe » »
J’éclate de rire.
«T’es vraiment zarbi, j’te jure »
Les effets de la cigarette magique commencent à se faire ressentir. Je me sens bien, détendu. Je ferme les yeux.
« ça fait longtemps que t’es là ? »
« Trop longtemps »
« J’ai envie de partir. De rentrer chez moi. D’être libre. Enfin, je serai libre si je ne chante plus »
Je sens sa main dans mes cheveux.
« Un insecte ? »
« Ta vie te plait ? »
« Mon rêve s’est réalisé. Je savais qu’il y aurait un prix à payer. Ma liberté. Ma vie privée. J’ai choisis. Je les ai sacrifiées »
« Jamais tu ne regrettes ? »
« Non, je n’ai jamais regretté même si parfois la solitude me pèse. »
« Des filles comme Kristen, tu peux t’en faire des tonnes »
Je le regarde.
« Je pourrais, oui, mais je ne le fais pas »
« Pourquoi ? »
« … »
« Pourquoi ? »
« Parce que je ne suis pas comme ça, voilà pourquoi »
« Tu l’as embrassé pourtant »
« Tu fais chier bordel. Je t’ai dit que si tu la voulais, elle était à toi. D’ailleurs, je me demande ce qu’elle me trouve. T’es dix fois plus canon que moi. Quand elle rentre, tu fais le nécessaire et tu arrêtes de me les briser avec ça »
« Elle ne me plait pas »
« Quoi ? Tu m’éclates la bouche parce que je veux l’embrasser et, là, tu me dis qu’elle ne te plait pas ??!! »
« Ouais, elle ne me plait pas »
« Tu mériterais que je t’en balance un autre dans la figure ! T’es vraiment qu’un sale con !»
« Tiens, tires une taffe, tu redeviens chiant»
Je m’exécute. Au point où j’en suis…
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